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Décès de Monsieur Michel Rouger


C’est avec une grande tristesse que l’ANJB a appris le décès de Michel Rouger, survenu le 28 février 2023.

Ancien directeur juridique de SOFINCO, Michel Rouger a été pendant de nombreuses années adhérent de l’ANJB et a participé à nombre de nos travaux de Place.

L'ANJB se souvient et lui rend hommage à travers les témoignages de René Pinon et Jean Louis Guillot.

 

René Pinon

L'ANJB organisait le 26 janvier 2023 une rencontre/débat sur le thème de l'importance de la reconnaissance d’un « legal privilege » à la française.

Douze rapports, plusieurs dizaines d'années de réflexion, ce qui faisait dire récemment que la France se trouvait "dans un état de sous-développement juridique par rapport à nos pays concurrents". (source : les Affiches Parisiennes 30 juin 2022 - rdv AFJE)

J'ai connu Michel Rouger le 1er décembre 1980, à mon entrée chez Sofinco (à l'époque dénommée Sofinco la Hénin). Michel Rouger, Directeur Juridique et Contentieux, était membre de l'ANJB. Il avait suivi l'actualité des initiatives européennes visant à rapprocher la grande variété de statuts des juristes d'entreprise, avait la conviction de l'intérêt d'un statut de juriste-avocat en entreprise, et dès le début 1981 me propose d'adhérer à l'ANJB, m'indiquant que j'allais être rapidement concerné par cette évolution.

Nous sommes 40 ans plus tard, et le sujet reste d’actualité. C'est déjà dire si Michel Rouger avait de façon générale une vision.

Michel Rouger, juriste d'entreprise, juriste de banque. La mission d'un juriste d'entreprise est de dire comment s'y prendre pour atteindre dans la légalité, l'objectif poursuivi par l'entreprise. Ce qui nécessite, outre la science du droit, une imagination féconde. Michel Rouger décrivait son parcours ainsi qu'il suit :

« Chauffeur routier, déménageur, spécialiste du crédit à la consommation, de l’assurance-crédit, responsable social, création d’un institut de formation, agent de voyages, tour-opérateur, financeur de véhicules, administrateurs d’éditions universitaires, gestionnaire de garages et concessions, organisateur de congrès internationaux, juge commercial, président du tribunal de commerce de Paris à la période de la crise immobilière des années 1990, de la Bad Bank (…), d’une Major du cinéma américain, Président et Conseiller de deux organismes d’État (alcoolisme et toxicomanie), Président des juges commerciaux européens, administrateur de sociétés du CAC 40, créateur de plusieurs centres d’études juridiques et judiciaires, arbitre en France et à l’international. » (source : site de Michel Rouger, michelrouger.fr)

Tout celà est parfaitement exact, mais encore incomplet. On se doit de dire encore que cet homme nous a quittés à 94 ans, encore en activité : animation de l'Institut Presaje, écriture d'ouvrages, utilisation des expériences accumulées "pour passer à l’activité éditoriale, écrire, publier, commenter, rapporter."

C'est un grand monsieur qui nous a quittés. Pour paraphraser Georges Clémenceau dans son Démosthène : « Michel Rouger fut un homme, c’est assez. A y bien regarder, c’est beaucoup ».

 

Jean Louis Guillot

J’ai rencontré Michel Rouger à de nombreuses reprises lors des réunions de l’ANJB et de Droit et Commerce dont nous étions, l’un comme l’autre, membres.

Ses interventions étaient toujours remarquées, car c’est avec conviction et compétence qu’il faisait valoir ses convictions. Les échanges avec lui étaient toujours passionnants et instructifs, car il était féru de droit des affaires et de droit bancaire et qu’en outre il était très sensible à la situation des juristes d’entreprise et plus particulièrement à celle des juristes de banque, métier qu’il avait exercé dans le passé.

Ses compétences juridiques alliées à sa connaissance de la pratique des affaires faisaient de lui un interlocuteur écouté dont les interventions faisaient autorité.

Mais au-delà de ses compétences techniques, il montrait une hauteur de vue qui rendait ses analyses encore plus pertinentes.

C’est au moment de la crise immobilière de 1991, alors qu’il était devenu Président du Tribunal de commerce de Paris, que Michel Rouger a montré toute sa compétence et son savoir-faire. Cette crise résultait de l‘éclatement de « la bulle immobilière » que la France, et principalement la région parisienne avait connue depuis plusieurs années.

Ainsi dès 1990 les ventes dans l’immobilier ont baissé, les délais de réalisation des projets se sont allongés et les stocks se sont fortement accrus. La vente massive de biens immobiliers à Paris par certains investisseurs ont encore accéléré la chute de l’immobilier. Celle-ci s’est rapidement étendue aux logements neufs.

La guerre du Golfe, loin de permettre une stabilisation du marché, comme certains l’espéraient, n’a en fait qu’accéléré et augmenté la chute et l’éclatement de cette bulle spéculative.

Cette crise d’une ampleur inconnue en France a touché de plein fouet tous les grands institutionnels, les assureurs, les banques et bien entendu les promoteurs. L’importance de cette crise a été considérable et a eu des conséquences très importantes à l’égard de nombreux intervenants. Les faillites se sont enchaînées et les très graves difficultés financières ont mis à mal bon nombre d’établissements de crédit et de compagnies d’assurance. En effet, les montages du financement de l’immobilier et les règles de droit en matière de SNC et de SCI, principaux supports utilisés pour ces opérations ont été un catalyseur des difficultés des financiers et des investisseurs.

On retrouvait, en effet, dans le capital de ces SNC ou de ces SCI des banques et des compagnies d’assurance et de grands partenaires financiers qui participaient par ce moyen à l’investissement dans l’immobilier. La faillite de la SNC ou de la SCI risquait donc d’avoir un impact considérable sur celui de ses associés au capital. C’était un véritable « château de cartes » qui menaçait de s’effondrer et ainsi de créer une crise financière sans précédent de toute la place de Paris.

Les conséquences auraient été catastrophiques, sans qu’on puisse véritablement en déterminer les limites, et la place financière de Paris aurait été gravement et durablement touchée.

Michel Rouger, en sa qualité de Président du tribunal de commerce de Paris a eu un rôle capital et déterminant.

J’ai eu l’occasion de le voir à plusieurs reprises au moment de cette crise immobilière afin de connaître ses intentions concernant le traitement de ces affaires.

Je me souviens que lors de l’une de nos premières réunions, il m’avait dit : « soit je traite le dossier en juriste, en faisant du droit pour du droit, et la place de Paris s’effondre, soit j’essaye de faire preuve d’intelligence et de réalisme pour sauver ce qui peut l’être. Je vais donc oublier un peu le droit pour tenir compte de l’Economie et on va faire preuve de pragmatisme et de réalisme ».

C’est cette politique qu’il a suivi, et même si quelques esprits chagrins lui ont reproché son attitude, l’avenir a prouvé qu’il avait eu raison et qu’il avait contribué à éviter d’aggraver une crise dont la place de Paris aurait eu beaucoup de mal à se remettre.

Après avoir quitté son rôle au Tribunal de commerce de Paris, Michel Rouger a occupé différentes hautes fonctions, mais il a voulu continuer à œuvrer pour le droit et l’économie.

C’est ainsi qu’il a créé l’institut Présaje afin de réfléchir sur les relations complexes entre l’économie, le droit et la justice. Fort de son expérience acquise lors de cette crise des années 1990, Michel Rouger était convaincu de la nécessité d’œuvrer pour la renaissance du droit au sein de l’économie et d’adapter la justice à ces nouvelles règles. Il a contribué fortement au sein de Présaje à développer ses idées avec une grande indépendance d’esprit, en organisant des réunions et séminaires d’une grande qualité auxquels il ne manquait pas d’inviter les juristes de banque.

Michel Rouger a toujours été un homme passionnant et passionné.

Événement antérieur: 16 février
Afterwork de l’ANJB